INSPIRation

Conversation avec Masahiro Moro

Malgré l’éclairage éblouissant du photographe et une longue journée de travail au siège de Mazda à Hiroshima, Masahiro Moro est imperturbable. Récemment nommé président-directeur général de Mazda – il a succédé à Akira Marumoto au cours de l’été 2023 – cet homme de 62 ans ne se laisse absolument pas intimider par les éclairs du flash. Avec un charme désarmant, il oriente la conversation, de la pêche à la mouche en Islande au baseball japonais, en passant par les règles incompréhensibles du cricket. Il s’excuse même en plaisantant lorsque sa secrétaire nous sert du café; les Britanniques boivent du thé, lui explique-t-il.

Nonobstant cette légèreté, Moro et Mazda Motor Corporation se sont fixés une tâche sérieuse : retrouver le plaisir de la conduite. Une direction évidente, peut-être, pour une entreprise dont la valeur fondamentale est le « plaisir de conduire », mais en aucun cas une direction facile. Encore sous le choc d’une pandémie mondiale, et avec le bouleversement climatique au cœur de toutes les préoccupations, notre histoire d’amour avec les quatre roues a grand besoin d’être revitalisée.

Après une interruption de trois ans due à la pandémie de ce qui était alors appelé le Salon de l’auto de Tokyo, le Salon Japonais de la Mobilité (JMS) 2023 a relevé ce défi, et permis à plus de 1,1 million de visiteurs de découvrir la vision passionnante du Japon pour l’avenir de la mobilité, un salon qui comprenait le Mazda Iconic SP. Ce véhicule concept était la pièce maîtresse du stand Mazda et il était accompagné par plusieurs MX‑5 mais, curieusement, le reste de la gamme passionnante de Mazda était absente. « Nous avons aussi de nombreux VUS fantastiques, dit Moro en souriant. Mais, à l’heure de la transition vers une industrie de la mobilité plus diversifiée, j’aimerais me focaliser résolument sur ce que représente Mazda, à savoir le plaisir de conduire. La MX‑5 en est l’illustration parfaite. Il s’agit d’enrichir nos existences. »


Mazda Monde : ce salon a suscité l’enthousiasme. Akio Toyoda [le président de Toyota] a apposé sa signature sur l’un de vos stands et vous avez encouragé le public à prendre son temps pour parcourir le salon. De l’extérieur, on a l’impression qu’il existe une véritable camaraderie au sein de l’industrie automobile japonaise.
Masahiro Moro : Le JMS représente la transformation du secteur et il est important pour nous de retrouver un intérêt non seulement pour l’automobile, mais aussi pour toute la mobilité. La façon dont la mobilité peut changer votre vie sera pour nous un thème important à l’avenir. Il était donc important que chacun, des grands constructeurs aux petites entreprises qui démarrent, offre une expérience inspirante et passionnante. C’était le défi commun que nous devions tous relever.

J’aimerais me focaliser résolument sur ce que représente Mazda, à savoir le plaisir de conduire.

Masahiro Moro

MM : En dehors du JMS, comment associez-vous vos forces?
Moro : Le grand sujet est la neutralité carbone, qui est à l’origine de toute la transformation de la mobilité. Mais la neutralité carbone est un objectif trop ambitieux pour une entreprise individuelle. Il s’agit d’un effort commun. C’est pourquoi, à l’occasion du JMS et du sommet du G7 à Hiroshima, nous avons publié une déclaration sur la manière dont nous abordons la neutralité carbone dans l’ensemble du secteur, que nous appelons « approche polyvalente ».

MM : Que signifie cette approche pour les clients du secteur automobile?
Moro : Elle implique des solutions diverses. Construire des voitures de sport électriques est bien sûr une option pour Mazda, mais étant donné que nous avons un moteur rotatif, pourquoi ne pas proposer une solution totalement différente et voir si les clients sont intéressés? Tel était l’objectif de la Mazda Iconic SP. Chaque constructeur fait des propositions différentes. Même des fournisseurs tels que Bridgestone et Panasonic envisagent des technologies avancées pour offrir des expériences de mobilité différentes.

MM : Au JMS, vous avez pris le temps d’interviewer des membres de votre équipe. S’agit-il d’une démarche habituelle pour un PDG japonais?
Moro : C’était très naturel et spontané. Je voulais connaître le point de vue de ces employés plutôt jeunes et motivés. J’ai été très impressionné. Il y a tant de choses que j’ignorais sur l’événement avant nos entretiens. Le système de réalité virtuelle, par exemple, a été élaboré par nos employés en collaboration avec une équipe de conception. Une surprise pour moi.

MM : Vous croyez manifestement au pouvoir de lindividu…
Moro : Chaque employé possède un énorme potentiel. Le défi est donc de savoir comment libérer sa créativité et toute sa force. L’expérience Mazda au JMS a été guidée par un concept. Habituellement, elle est axée sur un thème. Cette fois-ci, tout est parti du concept, puis l’équipe a proposé de nombreuses idées créatives comme une MX‑5 à l’échelle 2/3, pour faire profiter les enfants du plaisir de conduire, et une MX‑5 spéciale pour les personnes handicapées. Je suis très heureux de dire que c’est là la force des collaborateurs de notre entreprise.

MM : Vous avez fait l’essentiel de votre carrière en dehors du Japon, en Europe puis en Amérique du Nord. Pensez-vous que cela vous donne une perspective unique sur les défis que Mazda doit relever aujourd’hui?
Moro : Tout à fait. L’une des choses les plus importantes que j’ai apprises est la diversité, qui est actuellement une question majeure. En Europe, mon équipe comptait treize nationalités différentes. Des cultures différentes, une éducation différente, et même un bon sens différent. Au départ, je voulais que tout le monde ait la même opinion, mais c’était impossible. Personne n’était d’accord. Et c’était un vrai problème. Je me suis donc focalisé sur une vision commune, afin que tout le monde puisse participer à la conversation. Ensuite, chacun s’est assis à la table avec son opinion, et nous avons discuté pour aboutir à une idée encore meilleure.

MM : Et au Japon?
Moro : Au Japon, nous travaillons assidûment sur un processus unique, pour éviter les erreurs. Mais si ce processus va dans le mur, nous arrêtons les frais. Lorsqu’ils butent contre un tel mur, les Allemands s’y cognent la tête jusqu’à le briser. Les Britanniques, eux, trouvent une porte dans un autre mur pour passer. Mais au Japon, nous nous asseyons et nous discutons du problème, encore et encore. J’exagère, mais vous saisissez mon propos. Les Japonais hésitent à exprimer leur propre opinion au cas où elle serait différente de celle des autres. Pourtant, les idées différentes apportent de grandes choses.

MM : Mazda est bien sûr réputée pour ses idées différentes…
Moro : Exactement, cela fait partie de notre patrimoine. Tout le monde va dans la même direction, nous traçons notre propre voie. J’ai besoin de retrouver cet ADN, parce qu’en termes de culture, nous sommes un peu trop rigides aujourd’hui.

MM : S’agit-il de rappeler un passé glorieux ou de tourner le regard vers l’avenir?
Moro : Permettez-moi de dire que nous avons un énorme potentiel. Mais on suit souvent le chemin tracé par une seule personne. En temps normal, on peut tirer parti de cela. Mais nous vivons une période de grande incertitude. Aussi, il faut être agile, souple et prompt à s’adapter. Pour ce faire, nous devons faire preuve de beaucoup de sagesse pour diriger Mazda. Une seule personne ne peut pas décider de tout. Une part importante du leadership consiste à responsabiliser les autres. Nous devons donc inciter nos équipes à répondre présent et compter sur leur créativité pour relever les défis qui se présentent à nous.

MM : Comment saurez-vous que vous avez réussi chez Mazda?
Moro :
Eh bien, je n’ai pas de critères de réussite particuliers, car nous évoluons constamment, mais ce que j’aimerais voir, c’est une entreprise où l’on est heureux de travailler, où chacun se sent apprécié, connecté et inspiré. La culture est source de résultats. Si vous avez des employés formidables, vous avez une culture formidable. Et alors, tout est possible.


Texte Ross Brown / Images Eric Micotto, Dan Froude, Mazda